Le journal britannique « The Guardian » a publié le 11 mai 2022 une enquête sur les 195 projets portés par les multinationales du pétrole et du gaz qui sont de véritables « bombes à carbone ».susceptibles de compromettre toute tentative de maintenir le réchauffement climatique à une limite de 1,5°.
Cet article en anglais est facilement accessible par la traduction automatique. Il a été signalé à l’attention du public français par un article de l’Humanité, « Ces 195 « bombes climatiques » qui menacent le monde ». Il faut lire ces articles, impérativement, et ne pas oublier les défis révélés par cette enquête.
Celle-ci est le fruit de journalistes de l'environnement du Guardian qui a collaboré avec des groupes de réflexion, des analystes et des universitaires de premier plan à travers le monde au cours des cinq années précédent sa publication.
Ces projets d’extraction fossile constituent le coeur de la fuite en avant dans laquelle toute la population humaine est embarquée. Ils sont menés dans la discrétion mais ils engagent des sommes colossales se chiffrant en milliards de dollars. Les détails de ces opérations ne sont pas facilement accessibles mais l’enquête du Guardian a permis de les identifier et d’en évaluer la dangerosité.
Ces gigantesques exploitations entraîneraient chacune au moins un milliard de tonnes d'émissions de CO2 au cours de leur durée de vie, ce qui équivaut au total à environ 18 ans d'émissions mondiales actuelles de CO2. Environ 60 % d'entre eux ont déjà commencé à pomper. Un tiers aurait recours à des méthodes d’extraction « non conventionnelles » particulièrement destructrices comme la fracturation hydraulique et les forages offshore ultra-profonds. Par ailleurs ces exploitations libéreraient une quantité non négligeable de méthane, un gaz dont l’effet de serre est beaucoup plus puissant que le CO2.
La douzaine parmi les plus grandes compagnies concernées sont sur la bonne voie pour dépenser 103 millions de dollars par jour pendant le reste de la décennie pour exploiter de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. Elles ne renonceront pas aux bénéfices attendus et sont prêtes à tous les moyens de pressions politiques pour pouvoir mener leurs projets sans entrave.
Le Moyen-Orient et la Russie attirent souvent le plus l'attention en ce qui concerne la production future de pétrole et de gaz, mais les États-Unis, le Canada et l'Australie comptent les plus grands plans d’expansion et de « bombes au carbone » ; ils accordent également le montant par habitant le plus élevé au monde de subventions pour soutenir de tels projets. Aucun de ceux-ci n’est prévu sur le sol français, mais TotalEnergies mène ses projets d’implantation dans de nombreux pays, parfois en opposition avec les populations locales, comme en Ouganda où le forage de 40 puits de pétrole et la construction d’un oléoduc géant va bouleverser le milieu et les conditions de vie de plus de 100.000 personnes.
L’article du Guardian s’interroge sur la volonté d’agir des gouvernements, et en particulier de ceux des pays les plus riches, pour s’opposer à ces plans. Mais ces méga-projets ne sont pas indépendants de la faim d’énergie dans le monde, de la demande des différents secteurs de l’économie et de celle des particuliers. C’est toute notre façon de produire et de consommer qui est en cause. C’est celle des règles du jeu économiques, définies par les instances politiques, qui sont sur la sellette. Tant que ces règles du jeu sont celles du capitalisme, rien ne changera.
Les citoyens doivent s’emparer de manière très concrète de ces sujets essentiels : quels sont nos réels besoins ? Comment y répondre en limitant nos prélèvements sur les ressources et en restreignant les pollutions engendrées par l’activité humaine ? Comment, à partir de la situation actuelle, opérer rapidement les bifurcations nécessaires ?
L’enquête du Guardian, ainsi que d’autres alertes similaires, resitue la véritable dimension des enjeux. La mise au premier plan des « petits gestes » pour sauver la planète ne sont qu’une aimable diversion pour dissimuler les questions décisives, ainsi que la diffusion d’une morale écologique consensuelle pour masquer l’ampleur des intérêts en place.
La gravité des faits synthétisés par l’enquête doit aussi nous amener à nous interroger sur les limites des stratégies qui consistent à faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils « fassent leur part » en respectant l’accord de Paris. Cela est certes nécessaire mais pas suffisant. Les multinationales de l’énergie opèrent à l’échelle de la planète, et auraient beau jeu de dire « mais si nous nous retirons d’autres viendront à notre place ». Au-delà des organisations internationales militantes, il y aurait place pour un mouvement populaire social et écologique coordonné capable de poser des limites contraignantes aux activités qui menacent notre avenir commun. De vastes chantiers à ouvrir !